Quand on court en forêt on fait parfois des rencontres étranges. Je me souviens avoir croisé un jour, au détour d'un sentier, une magnifique couleuvre de presque un mètre de long. Alors que je faisais tout mon possible pour éviter de la piétiner, elle faisait ce qu'elle pouvait pour me prouver son attachement. On a eu tous les deux très peur mais ça ne nous a pas rapprochés pour autant, nos objectifs personnels étant apparemment incompatibles. Dans la série "bons moments surréalistes", je me souviens également d'un tout petit écureuil gris qui m'attendait tranquillement au milieu du chemin et a grimpé le long de ma manche jusque sur mon épaule. Mais que fais-tu là, petit gars, tu es perdu ? Tu devrais être un peu plus méfiant, tu sais. La pauvre boule de poil avait l'air aussi douée pour la vie sauvage que moi pour la course à pied. J'ai eu beaucoup de mal à le laisser partir, j'espère qu'il a eu une vie paisible et j'espère surtout qu'il n'a pas croisé la couleuvre.
J'espère.
Je ne vous parlerai pas du jour où j'ai noté dans mon carnet d'entraînement : "Encore vu Joe le pervers et son imper vert", c'est un blog sérieux ici. On croise beaucoup de monde quand on court, et à l'instar de certaines personnes qui peuvent se révéler plus égales que d'autres, certains croisements peuvent s'avérer plus problématiques que d'autres, je m'explique :
Interrogation surprise !
Problème !
Sortez vos cahiers !
Soit un Groupe de Sympathiques Randonneurs (que nous appellerons GSR pour simplifier) se dirigeant vers le sud au milieu d'une belle forêt de la région parisienne. Soit un Sympathique Coureur Nulenspore (appelons-le SCN pour compliquer) se trouvant sur le même chemin et se dirigeant vers le nord. Sachant que le groupe de randonneurs se situe actuellement à une distance D = 100 mètres du coureur ; que le dit coureur évolue à une vitesse stabilisée Vscn = 12 km/h parce qu'aujourd'hui c'est son entraînement à allure marathon et qu'il n'est pas question de ralentir, jamais de la vie, ça va pas la tête ? ; que les randonneurs ont atteint leur vitesse de croisière à savoir Vgsr = 5 km/h et qu'ils font eux aussi un entraînement intensif qui consiste à prendre toute la largeur du chemin en parlant fort ; de combien de temps disposent d'une part le coureur, et d'autre part les randonneurs pour s'apercevoir de la présence d'un corps étranger droit devant et donc changer de trajectoire, de vitesse, de configuration, de crèmerie, voire de fringues et éviter une collision ? On ne va pas laisser une telle catastrophe se produire sans réagir, il faut changer quelque chose, on n'est pas des bêtes.
C'est tout moi, ça, j'écris sans réfléchir et après avoir bêtement énoncé ce bon vieux problème de maths de CM2 année 1947, je me retrouve dans l'obligation de le résoudre. Je me console en me disant que ça aurait pu être pire : une baignoire poreuse remplie d'eau qui s'évapore aurait pu croiser un RER A lancé à vitesse maximum (9 km/h, donc), retardé 12 minutes 14 secondes par un incident technique en gare de Nanterre Préfecture et 8 minutes 37 secondes par un signal d'alarme en gare de Sartrouville, et donc sur le réseau SNCF comme la RATP vous le fera remarquer de façon très subtile. Contrairement à la rencontre entre un train et une baignoire, assez rare il est vrai, la rencontre entre un coureur et un groupe de randonneurs est fréquente, très fréquente, trop fréquente même ; et bizarrement pose toujours problème, vous pouvez me croire.
A propos de problème, assez discuté, prenez vos crayons !
Vous avez trois minutes !
Et pas le droit aux calculettes !
Voyons, je fais bien tout comme on m'a appris mais je ne pose rien parce que ce n'est pas mon style et je ne retiens rien parce que ce n'est pas mon genre. Euh, la règle de trois, c'est comment déjà ? N'oublions pas les virgules...
Je l'ai ! Le coureur et les randonneurs disposent d'environ 21 secondes 17 centièmes pour réagir avant la collision. C'est maintenant mathématiquement prouvé : on est large. Même le Titanic mettrait moins de 21 secondes 17 centièmes pour se pousser de 50 centimètres sur la droite. Alors pourquoi, dans ce cas, le pauvre coureur se trouve-t-il toujours contraint soit de s'arrêter et de se mettre de côté pour laisser passer la troupe, soit de continuer bêtement à la même vitesse sur le bas-côté dans les ronces et les orties en levant bien haut les pieds pour éviter la gamelle sans pour autant éviter le ridicule ? Vous l'avez peut-être remarqué : contrairement au troupeau de sangliers qui se disperse violemment à votre approche en faisant un barouf de tous les diables, le troupeau de randonneurs continue sa course de façon inéluctable, sans changer de direction, en rang par trois, les yeux dans le vague, en donnant l'impression de ne pas vous avoir vu. Vous êtes soudain devenu un SCNT : un Sympathique Coureur Nulenspore Transparent.
Personnellement, je trouve ça un peu vexant.
Dans les années 1990, le jeu "Oh No ! More Lemmings" vous permettait de prendre grand soin de plusieurs dizaines de petits personnages rigolos à cheveux verts qui gambadaient dans tous les sens sur votre écran. Cette activité était plutôt difficile car ces charmants petits humanoïdes totalement dépourvus de cerveau comptaient beaucoup sur le vôtre pour ne pas être réduits en bouillie. La principale caractéristique du Lemming étant son manque total de méfiance, il avançait gaiement droit devant lui jusqu'à ce qu'il rencontre, souvent de façon brutale et sanglante, un mur, un trou, un précipice de 19 étages, une rangée de couteaux, un marteau pilon ou un hachoir à viande. A part un mur ou un autre Lemming transformé en bloqueur, rien ne pouvait obliger l'un de ces petits punks à changer de direction, pas même un Sympathique Coureur Nulenspore très motivé.
On va encore dire que j'exagère, mais je suis certain que vous aurez une petite pensée pour moi quand vous croiserez un groupe de Lemmings dans votre forêt préférée. En ce qui me concerne, j'ai décidé de me transformer en bloqueur la prochaine fois, rien que pour voir ce qui va se passer, ça peut être assez drôle, je crois.
Allez, c'est assez pour aujourd'hui, comment termine-t-on une partie de Lemmings, déjà ?
Ah oui c'est vrai, j'avais complètement oublié.
C'est comme dans les films d'action américains : on ne peut pas toujours sauver tout le monde.
Allez, John, on secoue très fort la tête. 5.4.3.2.1.
Rideau...
1 commentaire:
J'aurai pu signer cet article!
sauf que le sentier fait 1m32 de largeur et que le marcheur nordique a l'abdomen de 84 cm de circonférence doit écarter les bras de 13,8 cm pour faciliter le passage du bâton de marche...
...mes mollets de souviennent encore des ronces et des orties!
Macha
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